INTERVIEW : 2000-03-18 «MAINTENANT ON M'AIME! ET JE M'AIME AUSSI». JOSEPH ARTHUR SE DIT APAISÉ (by Helene Lee)


INTERVIEW
«MAINTENANT ON M'AIME! ET JE M'AIME AUSSI». JOSEPH ARTHUR SE DIT APAISÉ, CONFIANT EN «UNE FORME DE BONTÉ».

JOSEPH ARTHUR EN TOURNÉE FRANÇAISE (PREMIÈRE PARTIE DE BEN HARPER), JUSQU'AU 11 AVRIL, DONT DIMANCHE À TOULOUSE (ZÉNITH), ET LE 22 MARS À PARIS (BERCY). CD: «CRAWLING ON BONES» (REAL WORLD/VIRGIN).

Par Hélène LEE— 18 mars 2000 à 23:32


Février. Les trottoirs de New York sont bordés de neige anthracite.

D'un snack bio de l'East Village où Joseph Arthur a ses habitudes, on marche vers son deux pièces de vieil immeuble type anglais. Le papier peint de l'escalier a un côté pépère, la fenêtre du salon donne sur une cour intérieure qui répercute la lumière verte et les chants d'oiseaux.

Sur un meuble, deux poupons menottés; au plafond, une guirlande lumineuse garnie de têtes de mort, des bouts de ferraille dans un coin. Au-dessus du lit défait, une gouache scotchée; visage jailli du mur vert et pourpre, percé d'yeux qui fondent. On pense à la chanson Invisible Hands: «Ta photo est une balafre sur mon mur"» Près de la fenêtre, sa guitare. C'est là que Joseph Arthur travaille; il fait rouler un titre juste enregistré, assis à l'écouter. La voix est plus ajustée, deux ans ont passé depuis Crawling on Bones" Pourquoi avoir sorti l'album inachevé Vacancy juste avant cet album officiel? Par peur de ne plus faire de disque?

L'échec n'est pas vraiment quelque chose qui m'angoisse. L'idée de devoir prendre un boulot normal ne me fait pas peur. J'étais frustré de ne pas pouvoir sortir mes trucs, peut-être, mais peur... Il y a des choses plus graves. C'est même ça qui me pousse à dévoiler ma vulnérabilité, le fait que rien n'ait d'importance, personne n'en a rien a foutre. On est là de manière si comptée, de toute façon; qu'est-ce que les autres peuvent bien nous faire? pourquoi ne serait-on pas courageux et vrai?

Tout cela a beaucoup à voir avec l'acceptation de soi. J'ai besoin de me manifester. Je pense être exhibitionniste. Aujourd'hui, les critiques applaudissent le cool, le détachement et l'esprit ­ surtout pas l'émotion. Pas moi. On ne peut pas émouvoir avec l'intelligence, il faut autre chose. J'aime qu'on prenne des risques, qu'on s'expose. C'est ainsi qu'on progresse, en dévoilant ses secrets.

Les chansons évoquent des situations d'échec, de souffrance, mais la façon dont c'est exprimé" " rachète? C'est exactement ça. Je travaille au rachat de mon existence, essayant de tirer quelque chose de profitable de tout ce merdier. Je ne puis me résigner à cette idée que la vie serait juste un voyage sinistre, pénible, vers la mort. Enfant, j'éprouvais une telle aversion pour moi-même que, pour survivre, il a fallu absolument que je fasse de moi quelqu'un d'exceptionnel.

Cette haine, pourquoi?

Je ne sais pas. Peut-être mes parents étaient-ils des gens passablement confus, eux aussi" Personne ne m'aimait. J'étais bizarre.

Comme maintenant" Oui, mais maintenant, on m'aime! Et je m'aime aussi, je prends soin de moi. J'ai encore des penchants autodestructeurs, mais moins qu'avant. Je me sens déjà moins lourd, parce que, dans un sens, je suis sorti de l'âge où sont morts tous mes héros. Ça m'a libéré d'avoir 28 ans, car tout à coup je n'étais plus en compétition.

La voix a atteint une certaine maîtrise. Plus mûre, plus belle, chiante aussi, moins de tranchant" On ne peut s'empêcher de mûrir, c'est naturel. Aujourd'hui, j'ai du mal à me surprendre moi-même. Parfois, j'ai même l'impression que mon aventure avec la musique est terminée. Je me sens plus excité par la poésie et la peinture, plus aventureux. Je ne suis pas encore bon, j'essaie. C'est là qu'on prend son pied. Et quand il n'y aura plus d'émotion...?

Je ne guérirai jamais à ce point-là" ­ et puis même si je guéris tant mieux, ça ne peut pas continuer comme ça. J'ai 28 ans ­ ce n'est pas beaucoup, je sais, mais je les ai passés à courir en tous sens comme une poule à la tête coupée. Quand je me sens en paix, j'apprécie. Je savoure la vie, tout ce processus. J'aimerais bien ne pas être différent. Mais j'aime bien quand c'est glauque, aussi... Je crois en gros à une forme de bonté inhérente au monde, malgré sa brutalité flagrante. C'est comme un terrain de manoeuvres pour les âmes, une épreuve extrême pour une raison que nous ignorons. Tout ce binz est parfait dans son imperfection même.

Dans notre édition de samedi, nous avons titré à tort Crawling on Bones le nouvel album de Joseph Arthur, intitulé en fait: Come from where I Am (Real World/Virgin). 
Joseph Arthur est très attendu ce soir à Bercy en première partie de Ben Harper.


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